Une artiste au passé sulfureux et à la patte indélébile
Suzanne Valadon, c’est la gifle que la peinture française attendait sans le savoir. Modèle devenue peintre, elle déchire les codes d’une fin de XIXe siècle engoncé dans ses certitudes masculines. Née en 1865 dans la misère, elle grandit entre les ruelles de Montmartre et les pinceaux de ceux qui la peignent. Renoir, Toulouse-Lautrec, Degas… Elle les observe, les dépasse et impose sa vision brute, sans fard. Pas de délicatesse forcée, pas d’esthétique mièvre : Valadon peint la chair telle qu’elle est, les formes telles qu’elles s’imposent, avec une audace qui fait d’elle une anomalie dans un monde dominé par les hommes.
Un écrin brutaliste pour une artiste sans concession
Accueillir Suzanne Valadon dans les entrailles du Centre Pompidou, c’est presque une provocation. Entre les tubes colorés de l’architecte Renzo Piano et le béton brut qui encadre le musée, le lieu colle à la radicalité de son art. Ce temple du modernisme, d’habitude réservé aux avant-gardes contemporaines, se plie ici à la puissance d’une artiste qui a toujours refusé les cases. Dans ses salles, Valadon ne se contente pas d’être exposée : elle impose sa présence, comme une explosion fauve au milieu d’un monde trop policé.
Des couleurs qui claquent comme une insulte
Suzanne Valadon n’a jamais fait dans la demi-mesure. Ses couleurs sont des cris. Elle jette sur la toile des rouges brûlants, des bleus tranchants, des verts à faire palir n’importe quel salon bourgeois. Regardez La Chambre bleue : ce n’est pas un portrait, c’est une révolution picturale. Son modèle, une femme, est étendue nonchalamment, dégagée de toute posture convenue. Loin de l’objectification masculine, elle existe pour elle-même, sans artifice. Loin des courbes soumises et des regards baissés, Valadon impose des corps qui s’affirment.
Une peinture qui boxe le patriarcat
Valadon ne peint pas pour plaire. Elle peint pour s’imposer. Ses femmes sont fortes, larges d’épaules, pleines d’un réalisme qui répugne les critiques de son époque. Trop crues, trop réelles. Dans Adam et Eve, elle renverse le mythe biblique : Adam est falot, presque absent, tandis qu’Eve occupe toute la place. Un manifeste féministe en peinture, bien avant que le mot ne devienne un badge militant.
Valadon aujourd’hui : une réhabilitation tardive mais méritée
Il aura fallu attendre le XXIe siècle pour que Suzanne Valadon ait enfin la rétrospective qu’elle mérite. Longtemps réduite à son rôle de mère du peintre Maurice Utrillo, elle était restée dans l’ombre de ses contemporains masculins. Cette exposition au Centre Pompidou remet les pendules à l’heure. Valadon n’est pas une figure secondaire. Elle est une pionnière. Et en parcourant les salles de l’exposition, on comprend qu’elle n’a rien perdu de sa modernité. Son art cogne, vibre, résonne avec une actualité qui crie encore le besoin d’affranchissement.