La cathédrale du pouvoir
Les caméras étaient braquées sur Emmanuel Macron, en majesté, qui semblait autant à l’aise dans cette église que dans un sommet de l’ONU. Pendant qu’il enchaînait les grandes phrases – « symbole universel », « renaissance française » – une question se glissait sournoisement dans les esprits : Notre-Dame appartient-elle encore aux Parisiens, ou est-elle devenue l’énième accessoire du storytelling présidentiel ?
Car soyons honnêtes, cette cérémonie ressemblait plus à un défilé politique qu’à un moment de spiritualité. Entre les dignitaires, les VIP et le déluge de communiqués, la ferveur populaire semblait reléguée au rôle de figurant.
Un chantier pharaonique… et polémique
Il aura fallu cinq ans pour restaurer la cathédrale, ravagée par l’incendie de 2019. Cinq ans de sueur, de larmes et de polémiques. Un budget de 846 millions d’euros – payé en partie par des milliardaires bien intentionnés (ou en quête de publicité, c’est selon) – pour sauver ce joyau gothique. Et pourtant, que reste-t-il de l’âme de Notre-Dame après cette renaissance chirurgicale ?
On nous parle de prouesses techniques, de bois rares et de dorures flamboyantes. Mais quelque part, le spectre de la vieille dame carbonisée hante toujours les lieux. Ce n’est pas juste une question de pierres ou de vitraux. C’est l’intangible, l’odeur du passé, ce mystère propre aux lieux habités par l’Histoire.
Et maintenant, Notre-Dame brille comme un diamant neuf, prête à devenir une attraction à tickets dorés, avec les touristes alignés comme des pénitents en quête d’une photo Instagram.
Le grand absent : le peuple
La réouverture de Notre-Dame aurait pu – aurait dû – être une célébration populaire, une sorte de fête païenne où chacun aurait trouvé sa place, croyant ou non. Mais la cérémonie d’hier ressemblait à un spectacle réservé à une élite triée sur le volet.
Pendant ce temps, les vrais Parisiens, ceux qui vivent à l’ombre de la cathédrale, étaient absents du tableau. Pas de maraîchers des quais, pas de saltimbanques jouant sous les arcs-boutants, pas de clochards célestes murmurant des prières entre deux bouteilles de mauvais vin. À croire que la réouverture de Notre-Dame n’est pas faite pour eux.
Un symbole dévoyé ?
Alors que l’on applaudit la prouesse architecturale et le « retour à la normale », il est difficile de ne pas voir cette réouverture comme une allégorie de notre époque. Un monument qui renaît, mais à quel prix ? Notre-Dame est devenue une vitrine : celle d’une France qui veut impressionner le monde, mais qui oublie son peuple dans l’équation.
Et pourtant, malgré tout, impossible de ne pas ressentir un pincement au cœur. Parce qu’au-delà des discours et des projecteurs, il y a cette nef immense, ces pierres millénaires qui continuent de nous murmurer des secrets. Et peut-être, juste peut-être, que l’âme de Notre-Dame, cabossée mais invincible, finira par reprendre ses droits.